Généralités

TRAITÉ DE LA PEINTURE AU PASTEL

 1. La peinture au pastel est l’art de représenter les objets, sur une surface plane avec des pâtes composées de substances colorées, qu’on a broyées à l’eau pure & qu’on a fait sécher après les avoir roulées en forme de crayons.

 2. Ce genre de peinture est d’une facilité particulière. Il joint à cet avantage, celui de ne répandre aucune odeur, de n’occasionner aucune malpropreté, de pouvoir être interrompu quand on veut & repris de même, enfin de se prêter à toutes les positions, de quelque coté que vienne la lumière.

 3. La peinture de pastel seroit donc généralement préférée, surtout pour le portrait, où l’on est souvent d’opérer à différentes reprises ; mais elle n’a, pour ainsi dire, qu’une existence précaire, faute de consistance & de solidité ; la moindre secousse fait tomber le pastel : le plus léger frottement l’emporte. Il faut, pour le garantir, couvrir les tableaux d’un verre qui court lui-même les plus grands risques au moindre choc.

 4. Cet inconvénient l’a fait négliger par les artistes. Ils ont préféré la Peinture à l’huile, comme plus propre à transmette leurs ouvrages à la postérité.

 5. Cependant on pouvoit trouver un moyen de lui donner de la consistance, en assurant & fixant le pastel. Mais il falloit  que les Sçavants tournassent leurs yeux du coté des Arts, ou que les Artistes les tournassent du coté des Sciences.

 6. Dans la classe de ceux-ci, M. Loriot, mécanicien de réputation, fit des tentatives assez heureuses en 1753. Mais il en réservât son secret, même après avoir obtenu des marques de la munificence du Gouvernement. Ce n’est qu’en 1780 qu’il l’a publié. Nous y reviendrons bientôt.

 7. Dans la classe des autres, M. le Prince de San-Severo di San

gro, que Naples doit compter à la fois parmi les Amateurs & les Physiciens les plus recommandables qu’elle ait vu naître, y parvint aussi dans le même tems ; il ne fit aucune difficulté de communiquer le moyen qu’il employoit à M. de la Lande, pendant le voyage que celui-ci fit en Italie en 1766, & qui ne tarda pas à publier dans sa relation (1). Mais il ne paroît pas qu’on le trouve copié dans l’Encyclopédie, & qu’il réussisse très-bien dans de petits tableaux. Nous en parlerons aussi dans la suite, lorsque nous indiquerons les moyens que nous avons trouvés de fixer le pastel en grand ; peut-être que désormais, rien n’empêchera les Artistes de se familiariser avec ce genre de Peinture aimable & facile.

(1)     Voyage d’un François en Italie, tome 6  page 398

8. Aucune autre n’approche autant de la nature. Aucun ne produit des tons si vrais. C’est de la chair, c’est Flore, c’est l’Aurore. S’il n’a pas quelquefois autant de force que la Peinture à l’huile, c’est moins sa faute que celle de la main qui l’employe.

 9. Non que je prétende inviter à quitter le pinceau pour le pastel. Mais combien d’occasion où l’or trouveroit de l’avantage à le substituer à la Peinture à l’huile plutôt que la détrempe. D’ailleurs, ceux qui ne sont pas bien habitués, pourroient en s’exerçant quelquefois dans ce genre, acquérir de la prestesse & de la facilité, même du coloris. Nul doute du moins qu’il ne valut mieux, quand on veut développer un sujet vaste, l’esquisser au pastel qu’à l’huile; cette manière prendroit peu de tems, seroit moins pénible, se prêteroit mieux aux corrections convenables, & seconderoit bien les élans & feu de l’imagination.

 10. Mais le pastel peut arracher beaucoup de jeunes personnes à l’ennui de la solitude. Ce genre de Peinture à tant d’attraits, que rien n’est plus propre à leur fournir des ressources contre le désoeuvrement, source de tant d’écarts. Le dessin fait partie de leur éducation. Mais elles  s’y  bornent, vu l’attirail où l’entraîne la peinture.

 Cependant quel amusement plus doux, par exemple, ou quelle occupation plus délicieuse pour elles que de pouvoir tracer l’image des auteurs de leurs jours, de fleurs, un paysage. Le pastel leur en présente les moyens les plus faciles. Ce n’est, pour ainsi dire, qu’un jeu.

 11. Nous avons enfin pour objet de rendre aux Arts des talents découragés, en multipliant les ressources & leur fournissant des moyens. La difficulté de deviner la préparation des crayons en pastel, quoique bien simple quand on la connoît, rebute presque tous ceux qui l’ignorent. Nous allons dans cette vue, révéler, sans doute plus d’un secret. Mais, dans les Beaux-Arts, le Génie seul doit en être un, parce qu’il peut ne se communiquer.

 12. La composition mécanique des crayons en pastel, sera donc l’objet d’un des principaux articles de ce traité.

 13. Les divers moyens de fixer le pastel feront l’objet d’un autre article, & j’indiquerai de nouvelles matières propres aux divers genres de peinture, quand la nature du sujet l’exigera.

 14. Mais avant d’entrer dans ce détail, je crois, pour rendre ce traité d’une utilité plus générale, & laisser à désirer le moins qu’il sera possible, devoir dire un mot des instruments nécessaires, en faveur des Amateurs qui seroient éloignés des secours & des éclaircissemens. Ce sera la matière du Chapitre premier, Chapitre que les gens instruits peuvent laisser à l’écart. Un livre élémentaire doit renfermer les premières notions.

 15. Je fournirai, dans les mêmes vues, à la fin de cet ouvrage, quelques explications relatives aux divers canevas sur lesquels ont peut peindre au pastel, avec le moyen de donner, si l’on veut, à cette sorte de Peinture le ton de la Peinture à l’huile sans le secours du verre.

 16. Les Sciences & les Arts sont allés fort loin parmi nous ; mais nous ne connoissons pas le prix de ce que nous possédons (1). Notre indifférence peut à peine se concevoir. Nous ne voyons la supériorité que de ce qui nous est étranger, comme si la nature n’étoit pour nous qu’une marâtre ; bien différens des autres peuples qui ne voyent la perfection que chez eux. Bientôt nous n’aurons plus que des idées d’emprunt ; nous irons demander aux Allemands des Comédies, & des Danseurs aux Flamans. Cependant nous avons devancé les autres nations dans plusieurs branches des Arts & des Lettres. Nous aurons encore ouvert la carrière dans le sujet principal de ce traité. Je tâcherai, lorsque l’occasion s’en présentera, que j’indiquerai les moyens qu’employent le talent. Je tâcherai, dis-je, de faire connoître les heureuses productions de notre sol, & d’établir, non sur les lieux communs, mais par les caractères spécifiques, l’opinion qu’on peut se faire de nos richesses.

(1) O fortunatos sua si bona norins !

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