CHAPITRE PREMIER

Des ustensiles nécessaires dans la Peinture au pastel.

 17. Cette manière de peindre se pratique avec des crayons dont on a broyé la matière avec de l’eau sur du porphire.

 18. Un porphire ou pierre à broyer est donc un ustensile nécessaire. C’est un grand carreau de marbre de dix-huit à vingt pouces de diamètre. Le nom de porphire lui vient de ce qu’on en fait quelquefois de cette matière. On en trouve encore sous le nom d’écaille (caillou) de mer qui sont très-bons. L’Auteur d’un ouvrage de Physique (1) dit que c’est une espèce de grais fort compacte, & fort dur. Ceux que j’ai vus sont un véritable silex. On a quelquefois aussi donné ce nom visiblement estropié, d’écaille de mer, à la matière demi-vitrifiée que vomissent les volcans, & qu’on nomme lave.

 19. On conçoit qu’on peut se servir aussi d’une table ordinaire de marbre, qui ne soit ni rayée, ni lézardée, après l’avoir dépolie avec du sable et de l’eau ; mais on n’est pas toujours à portée de se procurer un porphire de marbre.

On peut y suppléer par  un plateau de verre, d’un pied de diamètre au moins & d’un demi pouce d’épaisseur, qu’on fait exprès. dans une verrerie, & qu’on fait ensuite enchâsser dans du bois. Le verrier répand sur une grande plaque de fer, bien unie & presque rouge, la matière brûlante du verre, & l’étend au moyen d’une barre de fer, garnie aux deux extrémités, de poignées de bois. On peut encore se servir d’une glace de miroir, solidement encaissée dans une boëte, dont les rebords n’excèdent pas sensiblement la superficie de la glace ; mais avant d’en faire usage, il faut ôter le poli du verre avec la molette et du sable fin.
(1) Dictionn. De Chymie, par M. Macquer, verb. Laboratoire.

 20. Au début de ces matières & dans le besoin, quelques ouvriers se servent de véritable grais, ou d’une pierre de rémouleur. Ils la choisissent d’un grain serré, très-fin, bien dur, & la font aplanir avec la molette & du sable. D’autres, également dans l’embarras, se servent tout simplement d’une planche de bois dur & compacte.

 21. La molette est un caillou, scié par les ouvriers qui travaillent le marbre, en forme de poire aplatie par la base. Elle peut-être de la même matière que la pierre à broyer. Elle doit avoir à sa partie inférieure trois à quatre pouces de diamètre. Il faut que la base soit bien plate, arrondie vers les bords. Dans les cantons où les rues sont pavées de gros cailloux, on peut en faire choisir un propre à cet usage ; il se trouvera tout prêt.

 22. Enfin comme il y a presque partout de ces peintureurs (1) qui mettent les voitures & les boiseries en couleur, on trouvera chez eux des Ouvriers qu’on pourra charger d’apporter un porphire, parce qu’on doit absolument, je parle aux Artistes, faire broyer les couleurs sous ses yeux.

Je dis aux véritables Artistes, car ce n’est pas pour le peuple des praticiens que j’entre dans ce détail. Ils ne liront pas seulement cet écrit, & ne se sont jamais occupé de la satisfaction de voir les nationaux & les étrangers se disputer leurs ouvrages. Ces gens-la ne sont pas fait pour s’affranchir du joug de la routine.
(1) Je suis obligé d’employer ce terme pour ne pas confondre, par une même dénomination, des Artistes et des Ouvriers.

 23. La plupart des artistes sont dans l’usage d’employer des couleurs qu’ils achètent toutes préparées. Il ne faut pas s’étonner si leurs tableaux perdent leur fraîcheur avec le temps. On verra dans un moment combien ces préparations sont détestables.

 24. Pour amasser les couleurs sur le porphire, à mesure qu’on les broye, on se sert d’un couteau dont la lame, pour cet effet, doit être mince, pliante, large en ronde par le bout. Elle peut être d’acier, mais il vaudroit mieux qu’elle fut de corne, d’écaille ou d’ivoire, même de bois.

 25. A ces trois ustensiles il faut joindre un  chevalet. C’est un assemblage  de deux montants ou tringles de bois, soutenu par une troisième tringle ou queue, attachée aux deux autres, vers le haut & par derrière, afin que le tout se tienne debout, & puisse porter le châssis ou tableau qu’on se propose de peindre. Tous les menuisiers sont en état de comprendre & d’exécuter cette espèce de pupitre, sans qu’il soit besoin d’entrer dans plus amples explications. Il doit être, au plus, de cinq ou six pieds de hauteur, si l’on se propose de peindre de bien grands tableaux. On peut y suppléer, dans un cas pressé, par une table sur laquelle on met le châssis appuyé par derrière contre le dos d’une chaise.

 26. on se sert d’un petit bâton qu’on tient de la main gauche, pour appuyer la droite, & mieux l’assurer, pendant qu’on travaille. Cet appuye-main, de deux ou trois pieds de longueur, est terminé vers le haut comme une baguette de tambour. Quelques personnes s’en passent dans peinture au pastel, le petit doigt un peu courbé leur suffit pour appuyer la main sans que l’ouvrage en souffre. Cela ne seroit pas praticable dans la peinture à l’huile.

 27. On doit enfin se munir de deux ou trois boëtes fort plates, de bois mince ou de carton, de 15 à 20 pouces de longueur, sur un peu moins de largeur, & distribuées en compartiments. Les compartiments doivent avoir trois pouces de diamètre. Ils sont destinés à recevoir les crayons de pastel, qu’on y couche sur du coton, parce qu’ils sont très fragiles. D’autres les mettent sur du son. Chacun de ces petits compartiments doit contenir les pastels sont les tons se rapprochent le plus.

 28. Tel est, avec d’excellents tableaux, quand on peut s’en procurer, l’ameublement nécessaire d’un atelier. On voit qu’il n’est pas bien embarrassant. Du reste, ce laboratoire ne doit avoir qu’une croisée ouverte, mais élevée & percée au nord, s’il est possible.

Passons maintenant à la composition des pastels. Voici d’abord quels sont les ingrédients ou substances dont ils peuvent être composés.

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