ARTICLE VII

Des crayons bruns

 176. Les pastels composés avec la terre d’ombre, sont de couleur brune. Mais ils ne sont point friables, si l’on n’a eu la précaution de la calciner. Il suffit pour cela de la mettre un quart-d’heure sous la braise quand elle est en masse, & sur une pelle de fer quand elle est en poudre. Il vaut mieux la prendre en masse, autant il est possible, parce qu’elle est moins mêlée de matières étrangères. Sa couleur de tabac ou de feuille sêche devient un peu plus rougeâtre au feu. Dès qu’elle est calcinée, on peut la mettre avec un peu d’eau, sur le porphire. Après avoir été suffisamment broyée, elle fournira de bons crayons d’un fauve ou brun rougeâtre obscur, un peu compacte & gras. Mais il vaut encore mieux plonger dans un vase, plein d’eau froide, la terre d’ombre encore toute brûlante. Il est vrai qu’elle deviendra plus dure & plus difficile à broyer. Mais une fois bien porphirisée, les crayons seront encore plus friables qu’ils ne l’auroient été ? C’est le seul moyen que j’aie trouvé de réduire cette substance extrêmement rebelle au pastel, sans le secours de l’esprit de vin.

 177. La terre de Cologne qui donne également des pastels bruns est encore plus intraitable. Il faut la calciner long-tems sur la braise dans la cuiller en fer ou dans un creuset. Quand on l’aura tirée du feu toute rouge, on la portera dans un lieu bien aéré, pour l’y laisser brûler jusqu’à ce quelle s’éteigne d’elle-même. Alors on fera porphiriser long-tems avec de l’eau claire. On la jettera sur le filtre pour l’arroser abondamment. Par ce moyen la terre de Cologne donnera des crayons d’un brun noir olivâtre. Il seroit impossible d’en rien faire sans l’avoir bien torréfiée.

 178. Dans la Peinture à l’huile on s’est toujours plaint de la terre d’ombre, elle s’écaille, elle change, elle attire même les teintes voisines. On se plaint également que la terre de Cologne s’affaiblit. Mais au pastel rien de tout cela ne peut arriver, parce que ces matières ont passé par le feu. Quels changements peuvent éprouver des substances échappées à la voracité de cet élément, si l’on excepte quelques chaux métalliques promptes à se revivifier aux émanations du principe inflammable ? C’est même ici le lieu de répéter, puisque l’occasion s’en présente, (car je suis obligé d’insister là-dessus), que quand aura soin de la Peinture à l’huile de bien purifier les couleurs, soit par l’eau soit par le feu, suivant la nature des différentes substances, comme nous venons de l’expliquer, on n’éprouvera pas ces sortes d’inconvéniens.

 179. On aura pareillement des couleurs fauves ou brunes, bien intenses, avec l’éthiops martial & le safran de mars. Il faut les biens dépouiller de toute la limaille de fer qui ne se seroit pas convertie en chaux, & les traiter en un mot, comme l’ochre jaune, (n°82). On a vu ci-dessus, (n° 109) qu’on les rend, par la calcination, d’un rouge sanguinolant. Ces deux substances, à l’huile, quand elles ne sont pas calcinées, sont presque noires, sur-tout la première.

 180. Il y a depuis quelques années, dans le commerce, des préparations connues sous le nom de stil de grain brun. Nous en avons déjà dit quelque chose, (n° 91). Ce sont, la plûpart, des décoctions de graine d’Avignon réduites en consistance d’extrait avec beaucoup de sel de tartre & d’alun. Quelquefois on employe le suc d’autres plantes avec les mêmes sels & de la craye. Les fabricans ont là-dessus chacun leur petit secret, puisque chez les marchands de couleurs, toutes ces préparations-là différent les unes des autres. Elles sont, chez ceux-ci, couleur de noisette, chez ceux-la, couleur de canelle, & chez d’autres enfin couleur de carmélite, ou même d’un fauve plus obscur & plus brun. Souvent, ce n’est que du bistre comme nous l’avons dit, (n° 91) ; ou même un simple mélange de terre d’ombre & de stil de grain jaune. Il semble que les professions dont le mobile est l’intérêt, & qui n’ont pas d’autre aliment, soient toujours prêtes à s’avilir par le mensonge & la fraude.

 181. Voici quelques-unes des plantes les plus communes avec lesquelles on peut, à-coup-sûr, composer des stils de grain bruns. Les fabricans se fixeront à celles dont les décoctions, réduites en forme d’extrait, auront le mieux rempli leurs vues.

L’écorce des branches du noyer commun, & celle du noyer noir de Virginie.
      Le brou de noix, frais.
      Le bois de tous les pommiers sauvages ou francs.
      Celui du murier noir. Celui du merisier.
      L’écorce du bois de néflier ; celles du cornouiller & du cormier.
      Les branches & l’écorce du marronnier d’Inde ; celle de l’aune noir ; celle du hêtre.
      Celles de l’arbre aux Anémones & celles de l’alifier des bois.
      Celles du lilas ; du jasmin commun.
      Les tiges & feuilles de la reine des près, & celles de la grande ortie.
      La paille du blé sarasin.
      Le mélampire ou  blé de vache, toute la plante, ainsi que l’argentine.
      Le son du millet noir ou sorgho.
      La tige & les feuilles de la salicaire, & celles de la lavande

182. Le suc de toutes ces plantes, à laquelle que ce soit on donne la préférence, réduit en extrait avec de l’alun, ou mieux encore de l’étain dissous par l’esprit de nitre, (n° 93), donnera de très-bon stil de grain brun. Mais il convient, quelques momens après avoir mis ces sels dans la décoction, d’y joindre, par intervales, de la craye ou toute autre substance calcaire réduite en poudre, afin de neutraliser l’acide ; on doit bien écumer en même tems, pour l’enlever autant qu’il est possible. Il faut cesser de mettre de la craye aussitôt qu’elle ne produit plus d’écume.

 183. Ces sortes d’extraits ne gâteront point les autres couleurs dans la Peinture à l’huile. On ne doit néanmoins en faire usage qu’avec réserve & jamais dans les carnations, les sucs colorans de toutes les plantes, quelques moyens qu’on prenne pour les assurer, perdent plus ou moins avec le tems. A plus forte raison doit-on proscrire toute couleur dont on ne connoît, ni la nature, ni la composition. Qui peut s’assurer, à moins de se jetter dans l’embarras d’en faire l’analyse, qu’elle n’ont pas de base, comme dans la teinture, du vitriol de cuivre, ou quelqu’autre base encore plus détestable & qui dévore le colorant ? Du moins est-on bien assuré que ces compositions retiennent opiniâtrement beaucoup de sels & qu’il ne seroit pas aisé de les en dépouiller. Qu’elles restent donc ensevelies chez les fabricans avec leur secret. La durée d’une étoffe a des bornes &, pourvu que la leur se soutienne aussi long-tems que le tissu même, on n’en demande pas davantage. Mais la Peinture, c’est autre chose.

 184. Après-tout quel est l’artiste qui n’a pas des intervales de loisir pendant lesquels il peut, sans embarras, & par amusement, composer lui-même un stil de grain brun ? Chacun, par exemple, a sous la main quelques-uns de ces gros balais, composés de branches de bouleau dont on se sert pour nettoyer les basse-cours. Il suffit d’en ratisser l’écorce, de la faire bouillir avec l’alun, ou plutôt avec la dissolution d’étain (n° 93), comme nous venons de l’expliquer, & de réduire ensuite la décoction sur la cendre chaude en forme d’extrait. Cette espèce de laque mauredorée sera très-bonne & même très solide, pourvu qu’on en ôte les sels.

 185. Je dois observer, en terminant cet article, qu’on trouve aussi, pour le pastel, des crayons très-bruns d’une espèce particulière, & qui se vendent quatre francs la pièce. Quelques Peintres en font usage pour jetter des tons vigoureux dans leurs tableaux. En touchant ces sortes de crayons, je crus m’apercevoir que c’étoit, en grande partie, du noir de fumée, & le fabricant m’avoua qu’en effet c’étoit un mélange de noir de fumée, préparé d’une façon particulière, & de carmin. C’en est assez pour qu’on doive juger qu’il faut absolument s’en abstenir. Il y a tout lieu de croire que les Peintres qui les employent ne s’en doute pas ; car il n’est sûrement pas un seul qui sâche que la suye, le noir de fumée, & toutes les préparations qu’on peut en faire, telles que le bistre, doivent être laissées aux Peintureurs & ne sont bonnes que pour enfumer un tableaux.

 186. Les ochres de fer naturelles ou calcinées peuvent suppléer à de pareilles compositions, lorsqu’on les broye avec du noir, pour en composer des couleurs brunes, & ceci peut s’appliquer à tous les genres de peinture.

Cette observation nous avertit que nous avons à parler des crayons noirs, après quoi nous dirons un mot de ces sortes de mélanges.

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