ARTICLE V

Des crayons verts

 158. Quoiqu’il ne soit question dans le présent Chapitre que des couleurs simples, & que les pastels soient le mêlange de deux autres, néanmoins comme c’est une couleur principale, c’est ici le lieu d’en parler.

 159. Avant de connoître les moyens de rendre le bleu de Prusse & les stils de grain traitables, on chercheroit, avec bien de la peine, des substances dont on pût composer de beaux verts. Mais ces deux ingrédients bien dessalés, comme nous l’avons expliqué sous les nos 88 & 142, en donnent de très-bons, mêlés en diverses proportions & bien broyés ensemble. Par exemple, on prend partie à-peu-près égale de bleu de Prusse & de stil de grain jaune qu’on a bien lavés, on les fait porphyrisé avec un peu d’eau. Quand on juge qu’ils sont réduits en parties très-fines & bien combinées, on les ramasse avec le couteau d’ivoire, on les met sur le papier lombard, & lorsque la pâte est devenue maniable, on en compose des crayons en la roulant sur cette espèce de papier.

 160. Nous avons dit plus haut, n° 91, qu’il y a des stils de grain de différens tons. Ceux, dont le jaune a plus d’intensité, qui tirent un peu sur la couleur de canelle, donnent, mêlés avec le bleu de Prusse, un beau vert très-profond. Le bleu céleste ou minéral, (n° 154) donne, avec le stil de grain jonquille, une espèce de vert de Saxe. Le jaune de Naples ne vaut rien pour le vert. L’ochre jaune & la terre d’Italie fond un vert sombre & terreux qui peut servir pour les parties obscures ou des draperies de peu d’éclat.

 161. On pourroit, avec des cris taux venus du verd de gris distillés, (c’est une chaux de cuivre), composer des crayons d’un vert très-brillant, mais d’ailleurs détestable. Il faudroit porphiriser ce verdet avec de l’eau, puis le mettre dans un vase, & jetter dessus, goute à goute, un peu d’alkali fixe en liqueur, le laver ensuite sur un linge avec beaucoup d’eau, pour le dessaler & le mettre en crayons.

 162. Si l’on employoit de l’alkali volatil ; au lieu de l’alkali fixe, le verdet ou verd de gris prendroit la plus superbe couleur bleue qu’on puisse voir ; mais elle n’auroit pas de durée. Le verdet reviendroit sous très-peu de jours à sa première couleur, Au surplus, il faut répéter ici que les chaux de cuivre, les cendres bleues & vertes, la terre de Véronne, le bleu de montagne, ne doivent servir que pour les roues de voiture & les treillages de jardins, ou tout au plus pour les détrempes de peu de conséquence.

 163. On trouve dans plus d’un livre sur l’article des couleurs (1), qu’il faut calciner le verdet. Mais ce n’est plus alors, pour l’ordinaire, qu’une poudre d’un fauve très-obscur, à moins qu’on ne le vitrifiat. Il peut, en effet, servir dans la Peinture en émail & sur la poterie. Il y produit la couleur d’émeraude. Il peut aussi donner un vert brun rougeâtre. La cendre verte & la cendre bleue, de même que le bleu de montagne & la terre de Véronne, qui ne sont toutes que des combinaisons de rouille de cuivre, deviennent également brunes au feu.
(1) L’art du Peintre-doreur, etc., par le sieur Watin, nouv. Encycop. par ordre de matières, etc.

 164. Quelques autres livres contiennent des recettes pour composer une couleur verte.

J’en vais rapporter une en abrégé. Dissolvez du zinc dans de l’esprit de nitre, & du safre bien calciné, dans de l’eau régale. Mêlez ensuite une partie de la dissolution de zinc, avec deux parties de celle de safre. Dissolvez d’un autre côté, de la potasse dans de l’eau chaude, & versez trois parties de cette dernière dissolution dans le mélange du zinc & de safre. Rassemblez le précipité sur un filtre avec de l’eau. Quand l’eau sera passée au travers du filtre, mettez le dans un creuset, & poussez le feu jusqu’à ce qu’il soit devenu vert. Il faut ensuite le laver à plusieurs reprises.

 165. On trouve une autre recette dans l’Encyclopédie (1) ; mais ce seroit du tems perdu que de la rapporter. On y fait entrer un mélange de chaux de cuivre & d’arsenic. Rien de plus absurde, puisque tout le monde sait que l’arsenic blanchit le cuivre & toutes les chaux qu’ils peuvent fournir. Qu’on juge du vert qui peut résulter d’une pareille combinaison !

 166. Du reste, quoique le vert, dans la Peinture, ne se compose que par mêlange du jaune & du bleu, comme dans la teinture, on peut composer une laque verte de la même manière que l’on compose les autres, mais en employant les bayes mures du noir prun, Elles sont en maturité vers le mois d’octobre. Il suffit de les écraser, de les faire bouillir, de passer la décoction sur un linge, ou mieux encore au travers d’un tamis de crin, d’y jetter une dissolution d’alun de Rome, ensuite un peu de craye ou de dos de sêche, la liqueur, rouge d’abord, devient sur le champ, d’un beau verd. On peut la faire évaporer sur un feu très-doux, pour la réduire en forme d’extrait.
(1) Encyclop. méthod. Verb. Couleurs.

 167. Ces fortes compositions, tirées des bayes des plantes, sont bonnes sur-tout pour le lavis, à cause de leur transparence. L’extrait dont nous venons de parler est ce qu’on nomme le vert de vessie. La plupart des fabricans qui le composent y joignent un peu de chaux vive. Cette méthode ne vaut rien, la chaux le jaunit & l’altère. Elle est absolument inutile. On peut garder la même décoction en liqueur. Elle donne un beau vert pour le lavis, & se conserve très-bien dans des bouteilles bouchées.

 168. On tire aussi des pétales bleus de l’Iris, une fécule verte, mais elle est bien inférieure à la précédente. Les bayes de l’Hyéble, traitées comme celles du noirprun, donnent de même une liqueur violette, mais que l’addition de l’alun rend bleue. Cette ronce ou mûres de haye, bouillie avec l’alun, donnent une belle couleur purpurine. Beaucoup d’autres bayes de plantes, au moyen de la décoction avec l’alun, peuvent fournir de même pour le lavis, des sucs colorés. Telles sont les groseilles, les framboises, les cerises noires, les pélicules de bayes de cassis, mûres en juin ; les graines de garance, mûres en novembre, les fruits du mûrier noir, mûres en août, les  bayes de phitolaca, sorte de morelle de Virginie, mûres en octobre ; celles de sureau, mûres dans le même tems, sans compter les décoctions de bois de Brésil ou de Fernambouc & celui de Campêche. La gomme-gutte seule avec un peu d’eau, fournit le jaune ainsi que la pierre de fiel, on peut le tirer aussi de la plupart des plantes que nous avons indiqués sous le n° 97. Le carmin donne le cramoisi, mais il faut le broyer avec une légère dissolution de gomme arabique. Le bleu de Prusse ou la décoction d’un peu d’indigo, réduit en poudre avec l’alun, donne du bleu ; le verdet, la couleur d’eau ; la décoction des racines de tormentille, une couleur fauve, & du noir, si l’on y joint du vitriol de mars ; le bistre bien broyé donne le brun ; l’encre de Chine, le noir.

 169. Si l’on veut avoir, pour le lavis, une teinture d’or, il suffit d’en froisser dans un verre deux à trois feuilles, avec un peu de dissolution de gomme arabique & de l’y réduire en poudre impalpable. C’est ce qu’on nomme de l’or en coquille.

 170. On peut mettre tous les sucs colorants dont nous venons de parler en tablettes, en y joignant, lorsqu’on les fait bouillir, un peu de colle de chiffon. La colle, en sêchant dans des moules de cartes, qu’il faut oindre auparavant de beurre ou de graisse, leur donnera la consistance de l’encre de la Chine, qui se fait de la même manière avec de l’extrait de réglisse & du noir de charbon, réduits en bouillie par la molette.

 171. Quand à l’encre ordinaire, elle est d’un si grand usage, qu’on en trouve partout. Mais elle est presque toujours médiocre, & beaucoup de gens m’ont paru désirer d’en connoître la composition. Voici le moyen d’en avoir de très-bonne. Faites bouillir une heure dans deux pintes d’eau, vingt-quatre noix de galle concassées. Ensuite faites calciner en blancheur sur une pelle en fer, deux onces de couperose verte. Ajoutez-y, gros comme une cerise, de gomme arabique ; & laissez la liqueur au grand air cinq ou six jours, pendant lesquels vous la remuerez quelquefois avec un bâton. L’air embellit tous les noirs. Il est inutile d’y mettre du bois du Brésil ou de Campêche. Vous pourrez la transvasez ensuite. Ce procédé fort simple réussit très-bien. Nous allons maintenant parler des pastels violets.  

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