CHAPITRE IV

Des crayons de diverses teintes.

 196. C’est avec les couleurs principales dont nous venons de parler, que se composent toutes les nuances & teintes particulières ; c’est-à-dire que celles-là sont des couleurs simples, & celles-ci des couleurs composées. Par conséquent nous présupposons qu’on a lavé suffisamment ou purifié les couleurs principales avant d’en composer les diverses nuances dont nous allons faire mention. Nous nous bornerons à quelques exemples, pour abréger, en commençant par les résultats du blanc avec les autres couleurs prises dans l’ordre où nous les avons déjà suivies.

 ARTICLE I

 Résultats du mêlange du blanc avec les autres couleurs simples.

  197. La craye ou blanc de Troyes, mêlée avec du stil de grain jaune donne des crayons de couleur soufre. Pour cet effet, on met avec un peu d’eau sur le porphire, partie à-peu-près égale de l’un & de l’autre, on les broye jusqu’à ce que la combinaison soit complète, & le reste, comme on l’a dit ci-dessus, des couleurs principales.

  198. Mêlée de même avec l’ochre jaune, la craye donne la couleur chamois, & la couleur de chair avec l’ocre rouge.

  199. en la broyant de la même manière avec le cinabre, on aura des crayons de couleur de feu. La craye avec la laque produira la couleur de rose.

  200. Mêlée avec du bleu de Prusse elle donne le bleu ciel. Mais avec le bleu céleste, (n° 154), le bleu sera plus doux.

  201. En employant le vers, au lieu du bleu, la craye donnera le vert pomme.

  202. Avec le violet elle fera le gris de lin.

  203. Mais avec la terre d’ombre, elle produit des crayons d’une couleur fauve plus ou moins obscure, suivant les proportions de l’une ou de l’autre.

  204. La couleur de cendre sera le résultat de la craye avec la terre de Cologne, bien calcinée.

  205. En la mêlant avec du noir, on aura le gris. Tous les autres blancs qu’on employeroit au lieu de la craye produiront les mêmes effets.

 ARTICLE II

 Résultats du mêlange du jaune avec les autres couleurs simples.

  206. On met sur le porphire avec un peu d’eau, partie à-peu-près égal de jaune & de rouge. Avec ce mêlange on compose des crayons de couleur orangée.

  207. Nous avons dit, n° 159, que le jaune avec le bleu donne le vert.

  208. Mêlé de même avec la terre d’ombre, il produit la couleur de bois, & celle de l’olive plus ou moins obscure, lorsqu’on le mêle avec la terre de Cologne ou le noir.

  ARTICLE III

 Résultats du mêlange du rouge avec les autres couleurs simples.

  209. On vient de voir, en grande partie, quels sont les résultats de ce mélange. Il suffira d’ajouter ici que le rouge avec les couleurs obscures, telle que la terre d’ombre ou le noir, donne des couleurs fauves ou brunes, plus ou moins approchantes du marron, suivant que la dose de l’un ou de l’autre domine. Par exemple, si l’on mêle du cinabre avec du noir, on aura des crayons d’un brun rouge très obscur.

 

ARTICLE IV

Résultats du mêlange de plusieurs couleurs principales.

 210. INDEPENDAMMENT des teintes que produisent deux différentes couleurs principales réunies, il se forme des couleurs particulières du mêlange de plusieurs couleurs principales, combinées ensemble suivant différentes proportions.

 211. Ainsi l’on obtient la couleur ardoise avec le mêlange du blanc avec du noir & du bleu.

 212. Les mêmes ingrédients avec très peu de laque, donnent la couleur d’acier.

 213. Le gris de perle se compose avec du blanc, de l’ochre, un peu de noir & du bleu

 214. L’écarlate est plus simple, on l’obtient de deux parties de cinabre avec une partie de laque ordinaire.

 215. Le cramoisi se compose, au contraire, de deux parties de laque sur une de cinabre. Le carmin donne seul le cramoisi. Mais on ne le prodigue pas.

 216. Pour le pourpre, il faut une partie de bleu de Prusse & deux parties de laque. Nous avons déjà parlé du violet et du vert.

 217. Au reste, on conçoit que pour former des tons plus ou  moins clairs des divers composés dont il s’agit, on à besoin que d’y mêler plus ou moins de blanc ; &, pour en donner un dernier exemple, on fait du lilas en ajoutant au mêlange qui compose le violet, un peu de blanc. Et ce lilas sert pour les parties peintes en couleur violette qui doivent être plus éclairées, comme du noir & du bleu servent pour rembrunir la même couleur dans les parties ombrées.

 218. Remarquez au surplus que toutes les couleurs s’éclaircissent à mesure que les crayons sêchent en sortant de dessus le porphire.

C’en est assez, & trop peut-être, sur cet objet. L’usage apprend ces choses-là. Quelques éclaircissemens même qu’on pût donner là-dessus, jamais on ne feroit un Artiste. Mais les personnes qui s’essayent ont besoin de secours. C’est pour elles seules que nous sommes entrés dans ce détail, & par la même raison que nous dirons un mot des carnations à cause de leur importance.

 ARTICLE V

Des carnations.

 219. Les pastels pour les carnations doivent être traités avec soin.

 220. Mettez sur le porphire une certaine quantité de craye avec un peu d’ochre jaune & de cinabre, ou de carmin. Broyez bien tout ensemble avec de l’eau claire, & formez-en des crayons que vous laisserez sêcher à l’ombre, sur de la craye pure ou du papier.

 221. Les mêmes matières vous donneront une seconde teinte plus vive ou plus haute en couleur, en augmentant un peu la dose de l’ochre jaune & du cinabre, ou du carmin.

 222. Composer la troisième sans ochre avec du blanc, du cinabre et du carmin pour les parties sanguine, les lèvres, la pomme des joues.

 223. Moins de blanc fera la quatrième avec du brun-rouge & du carmin.

 224. L’on peut avoir besoin d’une teinte plus rembrunie que cette dernière. Les mêmes ingrédiens avec une pointe de bleu de Prusse & d’ochre jaune la fourniront.

 Voilà pour les tons clairs.

 225. Comme il faut des ombres dans un tableau, les tons clairs doivent être accompagnés de tons bruns. On composera donc ceux-ci d’un peu de blanc & d’ochre de rue avec du cinabre, du brun-rouge, du bleu de Prusse & quelquefois du noir, de manière que cette teinte soit un peu plus obscure que la précédente. Il faut faire diverses nuances de teintes brunes comme des teintes claires, en augmentant ou diminuant la dose de quelques-unes des couleurs principales qui les produisent, telles que le brun-rouge, le carmin, le bleu, le noir, & même en supprimant le blanc, qu’on remplace par l’ochre jaune. L’usage en apprendra là-dessus plus qu’on n’en pourroit dire dans un long chapitre. Il  suffit de ces notions générales.

 226. Il y a dans les tableaux de chaque artiste, une touche & des tons dominans qui font assez vite reconnoître sa manière. La teinte générale des ombres y contribue beaucoup. Chez les uns elle est bleuâtre, chez les autres elle est jaune, dans d’autres, rouge ou noire, chez ceux-là grise ou violette, etc.

 227. La chair dans l’ombre, paroît toujours mêlée de toutes ces teintes-là. Par conséquent le ton dominant des ombres doit participer de toutes ces nuances. En général les ombres doivent être d’un brun léger mêlé de diverses teintes rompues de brun-rouge, de carmin, de jaune & de bleu. Gardez-vous de voir la nature verte ou violette comme l’on fait quelques Artistes. Il faut, à cet égard, se défier de ses yeux, écouter la critique, ou plutôt consulter avec la plus grande attention les tableaux du Guide, de l’Espagnoler, de Rubens, de la Hire, de Largillière, etc. (1). Comparez sa touche avec la leur, & juger  à quelle distance ou est encore de ce pinceau pur & net, ferme & sûr qui les distingue. Voir ensuite combien le stile de tant d’autres est indécis, noyé, sans éclat, sans énergie, ainsi que pour les figures se détachent de la toile, on aura soin de jetter dans les ombres même, à côté des parties saillantes, un coup de crayon vigoureux & fier, mais sans dureté. Ce crayon peut se composer d’une partie de brun-rouge, de bleu, de noir & de carmin. La manière obscure & noire, dure & touchante, est celle que la plupart des Italiens estiment le plus. Elle sera la meilleure en effet, si vous en ôtez l’excès du noir & la dureté, c’est-à-dire s’il règne dans les touches même les plus sombres, une certaine transparence qu’on leur procure par des demi-teintes, sans quoi les ombres sont toujours pesantes.
(1) Il y a sans doute, beaucoup de différence dans la manière de tous ces Peintres. Par exemple, l’Espagnolet employe des ombres très–fortes, mais nettes. Le Guide, au contraire, des ombres presque toujours tendres, ainsi de Vandyck. La Hire a pris le milieu. C’est un très bon coloriste. Aucun Peintre, à cet égard, ne seroit au-dessus de Rhimbrandt, s’il n’eût pas affecté de chercher des effets singuliers. Rien de plus pour que les carnations dans le clair, lorsqu’elles ne sont pas exagérées, mais tout le reste est ridicule. Or quoique leur manière soit différente, cela n’empêche pas qu’on puisse juger par comparaison des effets qu’on  auroit produit, sans même les avoir copiés, ou plutôt c’est par un heureux mêlange de leur manière autant qu’elle peuvent simpathiser, qu’on peut, à l’exemple de Raoux, se faire un coloris d’une certaine magie, si l’on a pas le bonheur, comme le Corrège & Largillière, de l’avoir reçu du ciel,

 228. Sur-tout on évitera de salir par des couleurs obscures, les touches qui doivent rester dans le clair. Elles ne doivent se mêler que par leurs extrémités, lorsqu’on les fond ensemble ; & le meilleur moyen, c’est de les unir par des demi-teintes, sur-tout si l’on propose de fixer le pastel.

 229. On se gardera, par conséquent, de suivre la manière de ces teintes qui composent leurs tons sur la toile même ; en y brouillant leurs couleurs. Elles sont toujours un peu tourmentées & souvent ce ne sont que des barbouillages.

 230. Ces demi-teintes participent donc de couleurs voisines & se composent avec des couleurs de chair, (n° 220 & suivans), où l’on fait entrer un peu plus de jaune, de bleu, de violet, suivant les parties dont il s’agit ou suivant la nature des reflets qu’elles reçoivent. Ainsi, pour en composer une demi-teinte, on conçoit qu’en mettant, avec un peu d’eau sur le porphire du blanc, ou quelquefois seulement de l’ochre jaune, & du brun-rouge, du carmin, du bleu de Prusse ou du noir en plus ou moins grande quantité de chacun, l’on aura diverses touches analogues aux touches voisines. Encore un coup, c’est en étudiant les tableaux des grands maîtres, & sur-tout la nature, qu’on peut acquérir là-dessus des notions précises, & se perfectionner dans l’art de peindre, qu’il n’appartiendroit de traiter qu’au petit nombre d’Artistes qui se rapprochent des anciens, encore ne pourroient-ils enseigner ces choses-là que par l’exemple. Vainement répéteroient-ils ce qu’on trouve dans tant de livres ; « qu’il «  faut graduer avec intelligence les « clairs & les ombres, & donner à « toutes les parties une belle « harmonie ». On entendra fort bien tout cela. Mais on n’en saura pas mieux comment on doit s’y prendre. C’est en effet par l’usage, par le goût, par les comparaisons qu’on peut y parvenir.

 Il y a pourtant sur cette matière quelques principes généraux dont on peut donner l’aperçu. Nous allons les parcourir dans le Chapitre qui suit, afin d’aider les jeunes talens éloignés des guides.

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